Tendances et motifs en matière de fémicide

L’Observatoire canadien du fémicide pour la justice et la responsabilisation définit le fémicide comme étant «le meurtre de femmes et de filles principalement par des hommes mais sans se limiter à ces derniers». Cette définition reconnaît que le fémicide peut être perpétué par des femmes dans divers contextes sociaux et culturels. Cette définition est également suffisamment large pour faciliter des comparaisons plus précises des tendances du fémicide à travers le temps, nationalement et internationalement, supposant que différents types de données soient collectés.  

Ci-dessous, en utilisant  cette vaste définition, nous décrivons les tendances et les motifs du fémicide au Canada. Afin de cadrer avec la terminologie utilisée par Statistiques Canada  d’où nous tirons ces données, le terme «femmes victimes d’homicide» est utilisé.

Selon les données de 2015 qui nous offrent l’état des lieux officiel le plus récent, les femmes sont victimes d’environ 3 sur 10 homicides (ou 29%) au Canada. Le ratio de femmes victimes d’homicide et d’hommes victimes d’homicide est resté relativement stable de 1975 à 2015, allant d’une baisse de 24% des victimes en 2008 à une hausse de 38% de victimes d’homicide en 1981.

Diagramme 1 : Proportion de victimes d’homicide qui sont des femmes, 1975 à 2015, Canada

Diagramme 1 : Proportion de victimes d’homicide qui sont des femmes, 1975 à 2015, Canad
Source: CANSIM Table 253-0003. Statistics Canada, Canadian Centre for Justice Statistics, Homicide Survey, 1975 to 2015. 

 

Tendances au Canada

Il y a eu un déclin important d’homicides dans les dernières décennies. Le taux général de femmes victimes d’un homicide a diminué de 52% passant de 20.4 victimes par million en 1975 à 9.7 en 2015. On observe aussi un déclin important de 40% du taux d’hommes victimes d’un homicide pendant cette période également passant de 40.1 victimes par million en 1975 à 20.5 par million en 2015.

 Diagramme 2 : Taux d’homicide, selon le sexe de la victime, 1975 à 2015, Canada

Diagramme 2 : Taux d’homicide, selon le sexe de la victime, 1975 à 2015, Canada
Source: Statistics Canada, Canadian Centre for Justice Statistics, Homicide Survey, 1975 to 2015.

 

Bien que le taux d’homicide soit généralement plus haut chez les hommes par rapport aux femmes, ces dernières sont plus à risque d’être victimes d’un homicide conjugal.  En 2015, le taux de femmes victimes d’homicide conjugal[1] était de 45 pour 1 million – plus de cinq (5) fois plus élevé que le taux d’hommes victimes d’homicide conjugal (9 par million). Malgré que les taux d’homicides soient sensibles aux petits changements en nombre d’année en année, en général, il y a une tendance à la baisse du taux d’homicide conjugal. Par exemple, entre 1975 et 2015, le taux d’homicide conjugal a baissé de 37% pour les femmes et de plus de 69% pour les hommes.

 

La baisse significativement plus grande pour les hommes victimes d’homicide conjugal est perçue comme une sorte de paradoxe considérant que les nombreux changements législatifs et politiques dans les récentes décennies ciblaient la violence conjugale par les hommes envers les femmes. Alors que ces changements semblent avoir fournit une certaine protection pour les femmes, l’incidence plus significative pour la vie des hommes suggère que les ressources offrent peut-être aux femmes des alternatives à la violence meurtrière quand elles vivent dans une relation abusive.

Diagramme 3 : Taux d’homicide de partenaire intime, selon le sexe de la victime, 1975 à 2015, Canada

Diagramme 3 : Taux d’homicide de partenaire intime, selon le sexe de la victime, 1975 à 2015, Canda
Source: Statistics Canada, Canadian Centre for Justice Statistics, Homicide Survey, 1994 to 2015.

 

Âge des victimes femmes

Le risque d’homicide varie selon l’âge. Parmi les femmes au Canada, le taux d’homicide est le plus élevé pour les filles de 11 ans et moins (40.7 par million). Le second taux d’homicide le plus élevé a été trouvé pour les femmes de 25 à 29 ans (17.9 par million), suivi des 18 à 24 ans (14.7 par million) et des 30 à 39 ans (11.8 par million). En contraste, le taux d’homicide le plus élevé est celui des hommes de 25 à 29 ans (52.5 par million), suivi des 18 à 24 ans (43 par million) puis des 30 à 39 ans (36.0 par million).

Diagramme 4 : Taux d’homicide, selon le sexe et l’âge de la victime, 2015, Canada

Diagramme 4 : Taux d’homicide, selon le sexe et l’âge de la victime, 2015, Canada
Source: Statistics Canada, Canadian Centre for Justice Statistics, Homicide Survey, 2015.

 

Relation entre les femmes et leurs meurtriers

En 2015, près de la moitié (48%) des cas résolus d’homicide impliquant une femme comme victime étaient commis par un époux ou partenaire intime. Des membre de la famille (autre qu’un parent) étaient les auteurs du meurtre dans 22 pourcent des homicides impliquant une femme, suivi par de simples connaissances (14%), des parents (6%), des étrangers (6%) et des connaissances criminelles (3%). En contraste, les hommes étaient plus souvent tués par de simples connaissances (45%), des connaissances criminelles (16%) ou un étranger (16%). Contrairement aux femmes victimes, un pourcentage beaucoup plus petit d’incidents impliquant un homme victime était commis par un membre de la famille (14%), un parent (5%), ou un-e époux/épouse ou autre partenaire intime (4%). Ainsi, les motivations et les circonstances dans lesquelles les femmes et les hommes sont tué-e-s diffèrent significativement, soulignant la pertinence du terme fémicide. Les victimes femmes et hommes sont principalement tué-e-s par des hommes.

Diagramme 5 : Relation entre la victime d’homicide et l’accusé, selon le sexe de la victime, 2015, Canada

Diagramme 5 : Relation entre la victime d’homicide et l’accusé, selon le sexe de la victime, 2015, Canada
Source: Statistics Canada, Canadian Centre for Justice Statistics, Homicide Survey, 1961 to 2015.

 

Cas non résolus impliquant des femmes victimes d'homicide

En 2015, environ 16 % des homicides de femmes demeuraient non résolus au moment de la déclaration à l'Enquête sur les homicides, comparativement à 29 % des homicides d'hommes[2].   Le pourcentage d'homicides non résolus a augmenté considérablement depuis le début de la collecte des données de l'Enquête sur les homicides en 1961.  Par exemple, en 1961, environ 5% des homicides impliquant une victime de sexe féminin et 6 % impliquant une victime masculine demeuraient non résolus.  La proportion croissante d'homicides non résolus est en grande partie attribuable à la complexité croissante des cas impliquant des relations et des gangs criminels. En moyenne, les affaires d'homicide impliquant des conjoints et des membres de la famille sont réglées plus rapidement que les affaires impliquant des agresseurs qui sont plus socialement éloignés de l'agresseur.

Diagramme 6 : Proportion d’homicide non résolu, selon le sexe de la victime, 1961 à 2015, Canada

Diagramme 6 : Proportion d’homicide non résolu, selon le sexe de la victime, 1961 à 2015, Canada
Source: Statistics Canada, Canadian Centre for Justice Statistics, Homicide Survey, 1961 to 2015.

Victimisation par homicide des femmes et filles autochtones au Canada[3]

Au-delà des variations mentionnées ci-dessus, le risque d'homicide n'est pas réparti uniformément entre les groupes autochtones et non autochtones.  Les femmes autochtones courent un risque élevé d'homicide. D'après les données de l'Enquête sur les homicides sur 15 ans (2001-2015), les taux d'homicides chez les femmes et les filles autochtones étaient environ six fois plus élevés (48,2 par million d'habitants) que chez les femmes et les filles non autochtones (8,2 par million d'habitants). D'autres études suggèrent que les femmes autochtones sont 12 fois plus susceptibles d'être assassinées ou portées disparues que toute autre femme au Canada et 16 fois plus susceptibles que les femmes de race blanche. Cette surreprésentation des femmes et des filles autochtones parmi les victimes d'homicide a été observée partout au pays, les taux les plus élevés étant observés dans les territoires et dans les provinces du Manitoba, de l'Alberta et de la Saskatchewan. Au Manitoba et en Saskatchewan, précisément, on estime que les femmes et les filles autochtones sont 19 fois plus susceptibles d'être assassinées ou portées disparues que les femmes de race blanche.

 Diagramme 7 : Taux d’homicide de femmes, selon l’identité autochtone et laprovince ou territoire, 2001-2015

Diagramme 7 : Taux d’homicide de femmes, selon l’identité autochtone et laprovince ou territoire, 2001-2015
Source: Statistics Canada, Canadian Centre for Justice Statistics, Homicide Survey, 2001 to 2015.

Contrairement à la tendance générale à la baisse des homicides, le nombre d'homicides impliquant des femmes autochtones est demeuré stable ou a augmenté[4] au cours de la période de 36 ans allant de 1980 à 2015, mais leur proportion du nombre total de victimes d'homicides a changé.  En 1980, les femmes autochtones représentaient 9 % de toutes les victimes d'homicide, tandis que 24 % en 2015.a De plus, en 2015, environ 17 % des femmes autochtones victimes et 18 % des femmes non autochtones victimes étaient portées disparues au moment où la police a eu connaissance de l'homicide. Actuellement, au Canada, une enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées est en cours. Dans une revue nationale de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), on estime qu'entre 1980 et 2012, environ 1 200 femmes et filles autochtones ont été portées disparues ou assassinées.

Diagramme 8 : Nombre d’homicides de femmes selon l’identité autochtone, Canada, 1980-2015

Diagramme 8 : Nombre d’homicides de femmes selon l’identité autochtone, Canada, 1980-2015
Source: Statistics Canada, Canadian Centre for Justice Statistics, Homicide Survey, 1980 to 2015.

Références

Canadian Centre for Justice Statistics (CCJS). 2013.  Homicide Survey User Manual.  Ottawa: Statistics Canada.

Hotton Mahony, T, Jacob, J. and Hobson, H. 2017. “Women and the Criminal Justice System”. Women in Canada. Statistics Canada Catalogue No. 82-002-XPE. (PDF)

Hotton Mahony, T. and J. Turner. 2012. "Police-reported clearance rates in Canada, 2010". Juristat. Statistics Canada Catalogue no. 85-002-X.

Mulligan, L., Axford, M. and Solecki, A. 2016. “Homicide in Canada, 2015.” Juristat. Statistics Canada Catalogue no. 85-002-X.

Peters, Tracey. 2017. Taken. http://www.takentheseries.com/infographic/

Royal Canadian Mounted Police (RCMP). 2014. Missing and Murdered Aboriginal Women: A National Operational Overview. Ottawa: RCMP.

Smith, L.T. 2012. Decolonizing Methodologies: Research and Indigenous Peoples 2nd ed. London: Zed Books. (LB)

Trussler, T. 2010. "Explaining the changing nature of homicide clearance in Canada." International Criminal Justice Review. Vol. 20(4): 366-383.


 

[1] Cela peut inclure un faible nombre de partenaires intimes de même sexe.

[2] Un homicide est considéré comme résolu lorsque la police dépose une accusation ou recommande qu'une accusation d'homicide soit portée contre au moins un accusé (Mulligan et al., 2016).  L'Enquête sur les homicides est une base de données dynamique. Cela signifie qu'au fur et à mesure que les services de police résolvent les cas d'homicides antérieurs, cette information est ajoutée aux données de l'Enquête sur les homicides annuellement afin d'être incluse dans des fichiers de microdonnées révisées (CCSJ, 2013).

[3] Puisque le terme "peuples autochtones" est souvent utilisé aujourd'hui pour représenter la voix collective des peuples qui ont été "soumis à la colonisation de leur terre et de leur culture" (Smith, 2012:7), nous utilisons aussi ce terme. Toutefois, il convient de noter que le terme "peuples autochtones" continue d'être utilisé dans la collecte de données par Statistique Canada. L'Enquête sur les homicides utilise le concept d'"identité autochtone" pour représenter les Premières nations, les Métis et les Inuits vivant au Canada, en suivant la méthodologie utilisée dans le recensement de la population (CCSJ, 2013).

[4]  L'analyse des tendances des homicides peut être difficile en raison de la faible incidence relative des homicides. De changements marginaux Pour cette raison, il est important d'examiner les tendances globales plutôt que de s'en remettre aux fluctuations annuelles pour déterminer les grandes tendances du changement.