Le fémicide et la loi

Le fémicide et la loi

Cette section sur le fémicide et la loi présente des recherches internationales et canadiennes qui examinent comment les États/gouvernements ont été appelés à répondre au fémicide (ou au féminicide, selon le pays ou la région du monde). Ces recherches ont exploré la relation importante entre la loi et la prévention du fémicide, en reconnaissant le rôle essentiel joué par les cadres juridiques nationaux et internationaux dans le traitement et la prévention du fémicide, la garantie de la justice pour les victimes et leurs familles, et la responsabilisation des auteurs. Le contenu de cette section vise à informer les individus sur la législation passée et actuelle, la recherche, les politiques, les rapports et les résolutions qui contribuent à la prévention et à l’éradication du fémicide et de la violence masculine à l’encontre des femmes et des filles de manière plus générale. Les réponses juridiques au fémicide sont l’un des principaux domaines de recherche de l’OCFJR et, dans ce cadre, nous documentons les résultats des tribunaux en matière de fémicide dans l’ensemble du pays avec l’intention d’identifier si ces résultats varient en fonction des caractéristiques des fémicides et des personnes impliquées, ainsi que de la région du pays – ce que l’on appelle la « géographie de la justice » potentielle.

Le fémicide est largement reconnu comme une violation généralisée des droits de la personne à l’échelle mondiale et comme la forme la plus extrême et la plus brutale de violence et de discrimination à l’égard des femmes et des filles (Dawson et Mobayed Vega, 2023 ; ONUDC, 2022, ONUDC, 2022, MESECVI, 2008, Assemblée générale des Nations unies, 2016, ACUNS, 2017). Au niveau mondial, les femmes et les filles sont tuées d’une manière différente des autres types d’homicide (Dawson & Carrigan, 2021 ; Sarmiento et al. 2014 ; UNODC, 2022). Ces différences soulignent la nécessité de réponses spécifiques et nuancées de la part des États, capables de s’attaquer efficacement aux motivations et modèles distincts impliqués dans la violence masculine à l’encontre des femmes et des filles, actes qui sont profondément enracinés dans l’inégalité entre les sexes et la misogynie. Malgré cela, les réponses juridiques à cette violence restent inadéquates, voire inexistantes, et les auteurs de fémicides jouissent d’une grande impunité.  

Diverses formes d’impunité sont mises en évidence par l’absence de protection de l’État pour certains groupes de femmes et de filles en particulier (p. ex. les femmes et les filles autochtones, noires et d’autres groupes racialisés ; les femmes et les filles handicapées ; les femmes et les filles nouvelles arrivantes, immigrantes ou réfugiées ; les femmes âgées ; les femmes et les filles vivant dans les régions rurales, éloignées et nordiques ; les femmes travaillant dans l’industrie du sexe ; et les membres de la communauté 2SLGBTQIA+). L’absence de réponses intersectionnelles au fémicide au Canada et dans le monde continue de marginaliser de nombreuses femmes et filles, ce qui les rend plus vulnérables à la violence masculine, y compris au fémicide (Sarmiento et al., 2014 ; Sosa, 2023). Leur marginalisation et leur vulnérabilité accrues sont encore facilitées et, dans certains cas, permises par les structures et les processus sociétaux patriarcaux, y compris les formes directes et indirectes de violence de l’État (ACUNS, 2018). En outre, les identités et/ou oppressions multiples et croisées de ces groupes (par exemple, le sexe, le genre, la race, la classe, la sexualité) entravent leur accès aux ressources, aux services de soutien, à la protection et, en fin de compte, à la justice.

Lorsque les réponses de l’État au fémicide ne tiennent pas compte de la complexité des identités multiples, les expériences de certains groupes de femmes et de filles restent invisibles ou rejetées, ce qui a pour effet de réduire l’attention portée à leurs morts violentes et d’accroître l’impunité des auteurs de ces actes. Par exemple, au Canada, les réponses inadéquates de l’État ainsi que les impacts historiques et actuels de la colonisation et des diverses formes d’oppression perpétrées par l’État ont été identifiés comme contribuant au risque élevé de fémicide auquel sont confrontées les femmes et les filles autochtones (Bourgeois, 2023 ; Commission de vérité et réconciliation du Canada 2015), également appelé génocide (FFADA 2019). Pour lutter efficacement contre le féminicide et protéger les femmes et les filles, il est essentiel d’adopter une approche intersectionnelle qui reconnaisse l’interconnexion du sexe ou du genre avec d’autres identités, en veillant à ce qu’aucune femme ou fille ne soit laissée pour compte (Sarmiento et al., 2014 ; Sosa, 2023).

Depuis des décennies, les gouvernements et les dirigeants du monde entier sont invités à mettre en œuvre des politiques et des cadres juridiques spécifiques pour la prévention, l’investigation et l’éradication du fémicide. Récemment, l’attention internationale s’est portée sur les réponses juridiques des États au fémicide, en grande partie en raison des changements législatifs intervenus en Amérique latine, où se trouvent de nombreux pays présentant des taux de féminicide élevés (López Padilla et Saadoun, 2023 ; Roth et al, 2023 ; Toledo Vásquez, 2023). En 2022, 22 pays (20 en Amérique latine et 2 en Europe) ont introduit le fémicide dans leur cadre juridique, soit en tant que crime distinct, soit en tant que facteur aggravant d’un homicide. Bien que la lutte contre le fémicide dans ces pays reste problématique (par exemple, Carrigan et Dawson, 2020), ces changements juridiques et législatifs peuvent être considérés comme des mesures positives car ils reconnaissent que, pour que la société réagisse efficacement à cette violence, il est nécessaire que ceux qui appliquent la loi en comprennent la gravité (Menjívar et Diossa-Jimenez, 2023).

Jusqu’à présent, le Canada n’a pas modifié son cadre juridique concernant le fémicide. Toutefois, plusieurs organisations canadiennes, dont l’OCFJR, ont récemment demandé au gouvernement du Canada et à d’autres dirigeants de reconnaître le fémicide comme un crime distinct ou dans une législation spécifique. Au Canada, l’une des premières organisations à le faire a été le London Police Services Board (Ontario). Cette demande a été suivie par la recommandation n° 70 de l’enquête sur les circonstances entourant les fémicides de Valerie Warmerdam, Carol Culleton et Anastasia Kuzyk, demandant au gouvernement du Canada d’étudier la possibilité d’ajouter le terme « fémicide » et sa définition au code pénal (Office of the Chief Coroner, 2022). En outre, de nombreux appels à la justice ont été lancés par des groupes autochtones, des militants et des organisations non gouvernementales pour lutter contre l’épidémie de violence extrême à l’encontre des femmes et des filles autochtones, mais le gouvernement canadien et le système de justice pénale ont été lents à réagir (AFAC, 2022). L’une d’entre elles demande au gouvernement fédéral de considérer la violence contre les femmes et les filles autochtones et les personnes 2SLGBTQQIA comme une circonstance aggravante lors de la détermination de la peine, et de modifier le Code pénal en conséquence (Calls for Justice, 2019). Le Canada a encore un long chemin à parcourir pour répondre efficacement au fémicide, en commençant par reconnaître que le fémicide est une crise des droits de l’homme et de la santé publique, et nous pouvons apprendre des juridictions qui ont pris les devants en s’attaquant au fémicide dans leurs propres juridictions.

Des réponses juridiques efficaces au fémicide sont cruciales parce que les efforts passés ciblant la violence masculine contre les femmes et les filles n’ont pas été suffisants et que les femmes et les filles continuent de porter le plus grand fardeau de la violence sexuelle et sexiste dans le monde. Ce manque de progrès a été intensifié par le COVID-19, qui a eu un impact profond sur la vie des femmes et des filles et a augmenté les niveaux de violence et de fémicide (ONU Femmes, 2021). En outre, la classification juridique des meurtres de femmes et de filles liés au sexe/genre en tant que fémicide permettra de sensibiliser le public et de reconnaître le « comment » et le « pourquoi » des meurtres de femmes et de filles, ce qui constitue une étape cruciale pour réduire les fémicides. En outre, des réponses juridiques appropriées au fémicide commenceraient à s’attaquer aux inégalités persistantes entre les sexes et le genre ancrées dans la société et renforceraient la capacité des systèmes juridiques des États à prévenir, enquêter, poursuivre, punir et éradiquer le fémicide. En fin de compte, les États doivent prendre des mesures pour répondre au fémicide et respecter les obligations qui leur incombent en vertu du droit international, à savoir mettre fin à la violence masculine contre les femmes et les filles, soutenir le renforcement des droits et des libertés des femmes et veiller à ce que toutes les femmes et les filles aient un accès égal à la justice. Ils ne pourront le faire que s’ils reconnaissent le problème pour ce qu’il est : le fémicide.

Références

Academic Council on the United Nations Systems (ACUNS). (2018). Establishing a Femicide Watch in Every Country. Vienna: ACUNS.

Academic Council on the United Nations Systems (ACUNS). (2017). Femicide, State Accountability and Punishment. Vienna: ACUNS.

Bourgeois, Roby. (2023). Colonial femicide: Missing and murdered Indigenous women and girls in Canada. Pp. 465-474 in The Routledge International Handbook on Femicide and Feminicide, edited by M. Dawson and S. Mobayed Vega. London, UK: Routledge.

Calls for Justice. (2019). Calls for Justice- Reclaiming Power and Place: The Final Report of the National Inquiry into Missing and Murdered Indigenous Women and Girls.

Committee of Experts of the Follow-up Mechanism to the Belém do Pará Convention (MESECVI). (2008). Declaration on Femicide. 

Dawson, M., & Carrigan, M. (2021). Identifying femicide locally and globally: Understanding the utility and accessibility of sex/gender-related motives and indicators. Current Sociology, 69(5), 682–704. 

Laurent C, Platzer M and Idomir M (2013). Femicide: A Global Issue that Demands Action.

Vienna: Academic Council on the United Nations (ACUNS) Vienna Liaison Office.

Menjívar, Cecelia and Leydy Diossa-Jiménez. (2023). Pp. 453-462 in The Routledge International Handbook on Femicide and Feminicide, edited by M. Dawson and S. Mobayed Vega. London, UK: Routledge.

National Inquiry into Missing and Murdered Indigenous Women and Girls. (2019). Reclaiming power and place: The final report of the national inquiry into missing and murdered Indigenous women and girls. Volume 1a.   

Native Women’s Association of Canada (NWAC). (2022). MMIWG2S Federal Action Plan Annual Scorecard.

Nowak M (2012) Femicide: A Global Problem. Small Arms Survey. Vienna: Academic Council on the United Nations System (ACUNS).

Office of the Chief Coroner. (2022). Inquest into the death of: Carol Culleton, Anastasia Kuzyk, and Nathalie Warmerdam: Jury Recommendations.

Roth, Françoise, Mariela Labozzetta, and Agustina Rodríguez. (2023). The Latin American Model Protocol for the Investigation of Gender-Related Killings of Women (Femicide/Feminicide): A partially achieved success story. Pp. 433-452 in The Routledge International Handbook on Femicide and Feminicide, edited by M. Dawson and S. Mobayed Vega. London, UK: Routledge.

Sarmiento CB, Acosta ML, Roth F and Zambrano M. (2014). Latin American Model Protocol for the Investigation of Gender-Related Killings of Women (Femicide/Feminicide. New York: United Nations High Commissioner for Human Rights (OHCHR) and UN Women. 

Sosa, Lorena. 2023. Femicide and intersectionality. Pp. 50-59 in The Routledge International Handbook on Femicide and Feminicide, edited by M. Dawson and S. Mobayed Vega. London, UK: Routledge.

The Truth and Reconciliation Commission of Canada. 2015. Summary of the Final Report of the Truth and Reconciliation Commission of Canada.

Toledo Vásquez, Patsilí. (2023). Femicide/feminicide legislation. Pp. 411-421 in The Routledge International Handbook on Femicide and Feminicide, edited by M. Dawson and S. Mobayed Vega. London, UK: Routledge.

UN General Assembly, Taking Action Against Gender-related Killing of Women and Girls: resolution/adopted by the General Assembly. (8 January 2016). A/RES/70/176.

United Nations Office on Drugs and Crime (UNODC). (2022). Gender-related killings of women and girls (femicide/feminicide): Global estimates of gender-related killings of women and girls in the private sphere in 2021 Improving data to improve responses.

United Nations Office on Drugs and Crime (UNODC). (2022). Statistical framework for measuring the gender-related killing of women and girls (also referred to as “femicide/feminicide”).

UN Women. 2021. Measuring the Shadow Pandemic: Violence Against Women during COVID-19. UN Women.

Femicide in Canada uses Accessibility Checker to monitor our website's accessibility.